29.12.2009

Mustapha BELKOUCH, la Nostalgie des origines

Flamboiement de lumière, écriture cristalline

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Le désert n’est plus un paysage, c’est la forme pure qui résulte de l’abstraction de toutes les autres.

Les paysages de Belkouch me rappellent étrangement une visite au Sahara l’hiver. C’était à« Foum El Oued », le delta de la Séguier el Hamra, avec ses méandres d’eaux dormantes aux reflets d’acier serpentant vers la mer.. Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l’épilogue d’un chant nomade :

 » Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là – même où sont nos racines
Sur cette étendue désertique  frappée d’éclairs.
Doux rêve d’hiver, sous  la fine pluie et sous la tente
Parfum d’herbes sèches, s’évaporant du milieu des oueds.
Lointaines rumeur des bêtes sauvages.
Cérémonial de thé, entre complices de l’aube.
Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées
Et avec le jour d’hiver qui point
Chaque amant rejoint la tente des siens ».

Cette vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d’inspiration nous est aujourd’hui confirmé par l’artiste lui-même :

« Mon travail est comme une thèse en mouvement. La transformation et l’évolution se font dans le temps (pas d’arrêt sur un style ou de techniques particulières). La quête doit être totale, sans cesse remise en question et au fur et à mesure proposée au public. Je propose une expression de mon énergie intérieure, avec tout ce que cela comporte de tâtonnements,  de recherches dans les  rapports des formes par rapport au vide qui composent mes tableaux. L’idée de représenter le désert est un objectif car il est le représentant de tout ce à quoi j’aspire : la puissance, l’émotion à l’état brut.  Cet extrait du livre  » Amérique »  de Jean Baudrillard y résume bien l’idée que le désert ne peut-être que le support idéal pour réaliser une œuvre abstraite : l’émerveillement de la chaleur y est métaphysique. Les couleurs mêmes, pastels bleus, géologiques, intemporelles. La minéralité du sous-sol y fait surface dans des végétaux cristallins. Tous les éléments naturels y sont passés à l’épreuve du feu. Le désert n’est plus un paysage, c’est la forme pure qui résulte de l’abstraction de toutes les autres. »

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Ardence de glace et de feu, de Mustapha BELKOUCH

Il y a longtemps que j’ai rêvé de ce tableau que nous propose BELKOUH : ardente lumière saupoudrée d’or… Un art dense qui nous fait danser, penser, rêvasser. Danse de couleurs et de lumière. Musique du silence et des prières. De glace et de feu, d’ombre et de lumière, le travail de Mustapha Belkouch est absolument étonnant et poétique. Ardeurs, ardence, ardentes amours. Flamboiement de lumière, écriture cristalline. Il me fait penser un peu à la gestalt théorie de ce magicien vers lequel m’avait conduit, alors que je n’étais qu’enfant, un dénommé Abdallah « jahel » (l’enragé), un type fort, puissant, tout en muscles, qui avait fait le figurant dans le film de Massist. Il voulait savoir si sa femme ne l’avait pas trahi et le sorcier lui avait demandé de ramener un enfant au regard innocent pour déchiffrer son avenir. Une fois chez le voyant, entouré des livres jaunes de la magie, celui-ci se mit à enduire un œuf de smakh, et à la fin me le mit entre les mains en me demandant de regarder attentivement au reflet de la lumière ce que signifiaient pour moi les ondoiements d’ombre et de lumière à la surface de l’œuf, et j’y décelais comme sur les oeuvres de Belkouch, des montagnes, des paysages , des personnages… Et il m’avait alors suggéré de raconter le film qui se déroulait sous mes yeux à la surface de l’œuf ! Tout ce dont je me souviens maintenant c’est que j’avais dit au Massist de notre quartier que je voyais sa bien aimée en train d’escalader une falaise, et le sorcier de commenter qu’elle est certainement en train de voyager dans un monde imaginaire….

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Ondoiements d’ombre et de lumière (cendres) Mustapha BELKOUCH

Le mercredi 23 décembre, j’écris à nouveau à Mustapha Belkouch :

J’ai retrouvé hier un autre souvenir d’enfance complètement oublié : c’est curieux de voir comment mon enfance se télescope avec ton travail… J’ai rencontré Fatima que j’ai connue dans mon enfance. Elle est maintenant une femme précocement vieillie s’adonnant assidûment à la prière… Elle me rappelle un souvenir oublié en rapport avec sa mère que nous appelions affectueusement « Mouizigha »  et qui n’est plus de ce monde probablement depuis fort longtemps. C’était une voisine et une amie de ma mère chez qui, enfant, je me réfugiais à chaque fois que je commettais une farce. Pour éviter d’être puni, je passais sous la chaleur de son toit hospitalier et affectueux, les nuits sombres de l’hiver.

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Médium nocturne, bétyle de glace, Mustapha Belkouch

Elle m’amenait souvent à son bled dénommé Ifran et situé à l’emplacement actuel de l’aéroport de Mogador. Fatima me dit maintenant : « Les voisines à qui nous faisions visiter notre Ifran n’en revenaient pas une fois sur place :  Nous croyions que nous allions visiter un Ifran de verdure, mais nous n’avons trouvé qu’un ifran de pierrailles ! » En effet, en berbère le terme ifran signifie l’oasis de rosiers et de lentisques qui se développe à l’ombre d’un vieux caroubier au voisinage d’un puits ou d’une source avec des laveuses de linge sur dalles de pierres lisses chantonnant de beaux refrains aux cliquetis de leurs bracelets mêlés au coassement des crapauds et des grenouilles. Une espèce de paradis d’ombre et de lumière semblable à ceux qui surgissent de l’inconscient de Mustapha Belkouch comme des souvenirs estompés à multiples interprétations. L’artiste retrouve aussi ses souvenir d’enfance à la volupté indéfinissable voire insaisissable : des montagnes bleutées, des ciels azurés, des vallées enflammées. Une nostalgie des origines : voila ce que nous révèle l’œuvre de Belkouch. On peut penser aux estampes asiatiques à l’ère glacière, moi son œuvre me fait revenir à mon enfance dans les montagnes berbères. A chacun sa lecture de Belkouch, une œuvre plutôt tournée vers les horizons intérieurs. Amoncellements de blocs de glaces bleu nuit au bord du précipice d’une faille…

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Précipice et faille de glace. Mustapha BELKOUCH

Pour moi, l’ifran de  pierrailles était plutôt un petit coin du paradis de mon enfance, oublié certes, mais où germe cette flamme poétique qui continue notre vie durant à nous insuffler cette ardeur intérieure, cette méditation des profondeurs, semblable à celle qui fait produire à Belkouch ces œuvres si énigmatiques et mystérieuses à travers lesquelles il tente de nous transmettre l’indicible qui l’habite : c’est de cet inconnu rêvé qu’il s’adresse à nous. Lui aussi tente par sa peinture de retrouver le temps perdu de son enfance à travers ces couleurs chaudes, transparentes, à la légèreté éthérée … Il y a longtemps aussi que j’ai rêvé que je me suis perdu dans de pareilles banquises que nous propose BELKOUCH: c’était à la suite de la vision de Charlie Chaplin se débattant au-dessus du gouffre, sa pauvre cabane de bois menaçant à tout moment de se précipiter dans le sombre vide de glace …

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Ksours, Mustapha BELKOUCH

… jaune safran, aube dorée, trace de henné, sacrifice, rêve brumeux …

« Une fois, me raconte Fatima, Mouizigha avait acheté au souk des Ida Ou Gord, un petit âne au prix de 1200 réaux (60 DHS actuels), juste pour te permettre de gambader entre les enclos d’épines de nos champs…Tu passais ainsi la journée avec ton petit âne au point d’en attraper une terrible fièvre et de nous faire peur en nous disant au fond de ta sueur et de ton délire : je vais mourir, je vais mourir… » Vision cramoisie, enfiévrée du monde…

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Sirocco, ardentes amours, Mustapha BELKOUCH

Cet ifran de pierraille , cet ifran disparu sous le bitume de l’aéroport, représentait pourtant pour moi un petit coin de paradis que je parcourais accroché à la crinière de mon petit bourricot, le regard rivé aux sentiers lumineux, entouré de palmiers nains, d’arganiers rabougris, de fleurs sauvages. « Tu montais aux branchages d’un figuier pour en recueillir des figues à peine écloses, des figues loin d’être mûres », me dit Fatima. On devait être au tout début du printemps ou même au cœur de l’hiver comme maintenant.

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La nuit lunaire de Mustapha Belkouch

Je crois que c’est de semblables souvenirs qui sont à l’origine de l’œuvre de Belkouch, une nostalgie indéfinissable qui l’habite en permanence et qu’il essaie d’exprimer par ces formes et ces couleurs d’une tendresse indéfinissable. On est caressé, interpelé, sans savoir exactement de quelle nostalgie des origines il nous parle, de lui-même mais aussi de nous… En ce moment il pleut et de la forêt voisine les paysans arrivent en ville avec des sacs plein d’escargots, ces mollusques ont aussi la couleur tendre et transparente des toiles de Belkouch. Ils ont aussi la couleur de notre enfance, lorsque sous la pluie battante nous parcourions les sous-bois denses des eucalyptus et des mimosas, à la recherche des précieux escargots qui se meuvent en dehors de leur tanière sous les brindilles et au milieu des petites pousses. C’est à de semblables sensations liquides et chaleureuses auxquelles nous convie Belkouch, des sensations poétique et colorées comme un rêve qu’on ne peut reproduire par un franc figuratif…

Le soir du 23 décembre je fais le lien entre le travail de Belkouch et les rêveries poétiques de Bachelard sur l’eau, le feu et les quatre éléments des alchimistes ; calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu, montagne de neige tourmentée, jaune safran, aube dorée, trace de henné, sacrifice, rêve brumeux. Ce n’est pas une pure abstraction, ce que nous propose Belkouch : sa peinture est une peinture de la mémoire faite traces qui suggère des formes concrètes en pointillé, et nous invite ainsi à la rêverie Bachelardienne au bord de l’eau et du feu… Des paysages, des traces humaines. C’est-à-dire un sens, des significations en même temps qu’une esthétique des formes et des couleurs ; cette  rêverie dorée et blafarde faite peinture porte sur le feu et l’eau, c’est-à-dire les éléments primordiaux de la création minérale et volcanique. Oui, harmonie des formes plastiques aux allures musicales.

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Calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu Mustapha BELKOUCH

Peinture du silence, de l’absence, du dépouillement, du vide et du plein. Ce n’est pas le silence du vide et de la mort, c’est celui du rêve et de la vie. Trouvailles techniques dues au hasard des coulées plastiques ou résultat d’une rêverie méditative ? Peu importe le regard ; une sensation poétique s’empare peu à peu de celui qui regarde ces reliefs primordiaux aux allures  étranges et belles… C’est une forme d’écriture cristalline : des cristaux en équilibre… Un cheminement de montagnard en hautes alpages hivernales … Une écriture de l’indicible qui invite au déchiffrement magique  des sillons et des traces.

Dans mon enfance, j’ai connu aussi le déchiffrement magique des traces : je vois encore ma mère invitant une voyante nomade qui déambulait dans nos rues les jours de fête : une fois au patio de notre vieille maison, elle posait à même le sol un van d’osier et le saupoudrait de sable, puis traçait des rayures et des formes abstraites à l’aide d’une omoplate. Elle lisait à travers ces traces nos avenirs incertains comme on lit les destins à la forme particulière  et unique de chaque empreinte de paume à la surface ouverte des mains.  Sauf que les rayures et les formes tracés par Belkouch sont de glace et de feu… Il ne s’agit pas de nomadisme sur le sable mais de transhumance de haute montagne en hiver. De solitude et de silence. Donc d’une certaine forme de prière… que symbolise cette bétyle de glace dressée au milieu du silence de la solitude et de la nuit.

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Glaciation cristalline de Mustapha Belkouch

Le chant du pays se rythme au tambourin
Le rythme  de Bou Iblân scintille au firmament
La danse pastorale  est une  ondulation de la montagne
Hautes sont les cimes, limpides sont les sources
Drues, les  vallées de la montagne à Meskaddal
Où chaque année, on  célèbre les pâturages d’été…
Vertes, les prairies de la plaine d’Azaghar
Où chaque année, On  célèbre les pâturages d’hiver…

Ces cîmes enneigées me rappellent les hauts alpages de Bou -Iblân, le plus élevé sommet du Moyen Atlas Oriental, en arrière pays de Taza,  que j’ai visité l’hiver il y a trois ans de cela pour les besoins d’un documentaire de « la musique dans la vie » . Le massif de Bou-Iblân est une zone enneigée et inhabitable l’hiver. Les quelques maisons qui y existent sont occupées l’été par les gardiens de troupeaux qui viennent y transhumer. Cette montagne constitue d’excellents terrains de parcours où tous les troupeaux des Bni Waraïn se retrouvent l’été. En cette haute montagne où le paysage respire l’agréable fraîcheur des petits sites alpestre, j’ai pu recueillir quelques légendes pastorales.

Selon l’ une d’entre elles, recueillie auprès d’une chaumière du crû, sur cette montagne aux neiges éternelles, on découvre «  une bergère et son troupeau pétrifiés au cours des 40 nuits les plus glaciales de la saison morte». Il s’agit des fameuses « liali Hyane », où selon un vieux dicton, il ne faut préparer ni chevreau ni agneau qu’après le passage de leurs  nuits froides et néfastes. En effet, durant cette période, on cesse de faire le beurre avec le lait des brebis qui a diminué. C’est probablement  parce qu’elle avait enfreint ce tabou que la vieille bergère fut pétrifiée sur la montagne avec son troupeau alors qu’elle était en train de préparer du petit lait avec une outre en peau de chèvre.

La vieille bergère disait au début :

 » Je vous défie, ô les plus froides nuits de l’hiver ! Et j’escalade la montagne, avec mes ovins, mes caprins et mes chevreaux ! »

« Hyan », l’esprit des nuits d’hiver demande alors à Mars :

« Ô Mars ! Prête moi le jour de mauvaise augure pour que je tue la vieille ogresse !  »

C’est ainsi qu’elle s’est pétrifiée au sommet de la montagne aux neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. .


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Méditation lumineuse et asymétrique de Mustapha BELKOUCH

S’agit-il ici d’un gestuel calligraphique ou de l’une de ces branches mortes de la cédraie millénaire que j’ai vu surgir de la neige au sommet de Bou-Iblân, comme un vieux fusil au bout d’un bras pétrifié de la première boucherie humaine de 1914-1918 ?

On n’arrive pas à replanter le cèdre disparu des flancs de Bou- Iblân parce que, nous dit-on, les bergers se mettent à l’arracher dès qu’on l’a planté, croyant que la régénération de la forêt se fera au détriment des terrains de parcours. Les vieux de la région racontent que l’ancienne forêt dense du cèdre a disparu à cause des incendies. Ils  rapportent même une légende pour appuyer cette affirmation :

Dans un temps à la fois mythique et lointain « vivait à Bou-Iblâne une  monstrueuse créature, mi-boa, mi-jument, du nom de Targou : elle avait l’allure d’une grande jument entièrement recouverte de gros poils qui tombaient jusqu’au sol. Un jour qu’elle fut foudroyée par l’éclair au sommet de la montagne, sa farouche tignasse prit feu, et elle se mit alors à se frotter aux troncs d’arbres, provoquant un gigantesque incendie qui décima d’un coup des milliers et des milliers de cèdres millénaires. De sorte qu’il ne reste que quelques cédraies disparates ici et là, autour de Bou-Iblâne.

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Souffle ! Souffle ô Bou – Iblâne !
Rafraîchit l’air du plat pays
Ô Bou – Iblâne ! N’était le froid,
J’aurai planté ma tente sur ton sommet !

En effet, dés qu’arrive la période des neiges , les transhumants s’empressent de rejoindre le plat pays et avec la belle saison ils reprennent d’assaut les hauts paquis. Mouvement oscillatoire et saisonnier dont nous parle cette autre légende :

La vieille bergère se déplaçait vers Taïzirt avec son troupeau. Elle était accompagnée de son mari, d’un berger et de ses bovidés. Quand les sept nuits froides de Hyân sont arrivées, elle a dit à son mari :

 » – On ne doit pas rester ici, il faut qu’on monte en haut de la montagne (ils avaient une maison à Moussa Ou Saleh).

– On ne quittera ici, que lorsque l’épi soit mûr, lui répondit son mari.

Elle dit alors au berger :

–  Quand tu seras en pâture, là où on laboure, ramène avec toi un vieil épi pour que je puisse le montrer à mon mari, en lui faisant croire que l’été est déjà arrivé., et que nous devons donc décamper d’ici.

Après avoir tâté l’épi, son mari aveugle lui dit :

– Il est temps de transhumer vers « Moussa Ou Saleh ».

Au bout de trois jours de leur séjour là -haut,  Hyân est allé emprunter trois jours au mois de mars :

– Ô mars, toi qui préside la saison du printemps ! Peux-tu me prêter tes trois jours de mauvaises augures, pour que j’en pétrifie la vieille ogresse ?!

Et c’est ainsi qu’il lui accorda les trois jours de mauvaises augures qui pétrifièrent le troupeau, la vieille bergère, son aveugle de mari, le berger et le troupeau de veaux. Le froid les a pétrifié pour avoir renversé le cycle de la transhumance.

« Moussa Ou Saleh » est le nom que porte le sommet le plus élevé qui domine tous les autres et dont la cîme est perpétuellement couverte de neige. Pour cette raison il revêt un caractère légendaire dont se fait écho cette tradition orale:

« Moussa Ou Saleh » habitait à Tlemcen. Il possédait un cheval. Un jour une fourmi l’a piqué. Il l’a mise alors dans un étui en roseau et l’enferma avec un grain de blé tendre. Au bout d’un an , elle n’en n’a pu consommer que l’équivalent d’une tête de fourmi. Quand le Roi de l’époque le sut, il demanda à ce qu’on fasse venir « Moussa Ou Saleh ». Une fois en sa présence, il lui dit :

– Pourquoi as-tu emprisonné la fourmi ? Toi aussi, tu seras emprisonné pendant un an.

– Ça sera comme vous l’aurez voulu, puisque vous êtes le Roi du Temps : jugez comme vous l’entendez, lui rétorqua Moussa ou Saleh.

Il demeura une année en prison, en demandant à sa mère de bien prendre soin de son cheval, de le nourrir de blé, en le gardant à l’ombre, loin du soleil.

– Quel aliment choisiras-tu pour te nourrir ? lui demanda le Roi.

– Le lait dont je peux boire l’eau et manger le fromage, répondit-il. Et d’ajouter :

– Seigneur, il faudrait qu’on organise un jour une fête et une fantasia !

Le jour de la fête, il sella son cheval et se dirigea vers les remparts. Un observateur se mit alors à crier :

– Moussa est parti ! Faites attention, Moussa est en train de fuir !

En un clin d’œil, il parvint en effet, à enjamber le rempart avec son coursier.

A chaque fois que ses poursuivants demandaient aux gens :

– Un cavalier est- il passé par là ?!

Ils recevaient invariablement cette réponse :

– Nous n’avons vu passer par ici qu’un corbeau portant une laine blanche à son bec.

Le cavalier blanc continua ainsi sur son coursier noir jusqu’à Taza, où il fit ses prières à la grande mosquée. Après quoi il se dirigea vers la plus haute montagne du pays, où deux fossoyeurs ont déjà creusé une tombe :

– Que faites-vous ici ? leur demanda -t-il.

– Nous venons de creuser la tombe d’un homme de votre taille, lui répondirent-ils. Veux-tu t’y mettre pour qu’on puisse mesurer si elle convient ?

– D’accord ! leur répondit-il.

Ils lui firent alors flairer une fleur sauvage, et il en mourut subitement.

C’est la raison pour laquelle, on appela désormais cette montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».

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Le « Moussa Ou Saleh » qui élève sa cime à 3215 m. d’altitude, est le sommet culminant de la chaîne du Bou-Iblâne et de tout le massif du Moyen Atlas. Une jolie légende se rapporte à l’origine de son nom :

« Il y a de cela bien des siècles, Moussa Ou Saleh vivait  réduit en captivité sur les Etats du puissant roi de Tlemcen. Mais un beau jour, déjouant la surveillance de ses gardiens, le prisonnier s’enfuit aux galops d’un splendide et fougueux coursier. A ses poursuivants qui demandaient des nouvelles du cavalier fugitif, les gens répondaient :

– Nous n’avons vu qu’un corbeau volant avec de la laine au bec !

Le cavalier blanc paraissait s’envoler sur son coursier noir. Et c’est en vain que les plus habiles cavaliers du roi de Tlemcen le poursuivirent à travers les monts et les plaines jusqu’aux derniers rayons du soleil couchant. Il  fit la prière du crépuscule à la grande mosquée de Taza, avant de poursuivre sa folle chevauchée . Vers le soir, et alors même qu’il venait d’atteindre la gigantesque barrière de Bou-Iblâne, son cheval fourbu s’abattit brusquement sous lui. Le fugitif cherche à reprendre haleine, mais un essaim furieux d’adversaires, l’entoure déjà :

–  Vous me suivez plus haut encore ! les défie-t-il à leur approche.

Et dans un suprême effort, il se prend à gravir au devant d’eux le flanc inhospitalier de la rude montagne. Mais il sentit peu à peu ses forces le trahir et en lui, la vie défaillir : en touchant au sommet il tomba brusquement, foudroyé par la mort.  C’est  depuis lors qu’on appela cette partie culminante de la montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».

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Paroi préhistorique de Mustapha Belkouch

En faisant là par des embellissements inévitables où se complait l’imagination populaire, deux points sont à retenir dans ce récit :

Le nom du héros d’abord, et ensuite l’évocation de sa rivalité avec le roi de Tlemcen. Ils suffisent à nous découvrir le fond historique de la légende : Moussa Ou Saleh n’est autre, en effet, que le plus fameux d’entre les princes de la dynastie des Banou Saleh, ces fondateurs du petit royaume de Nokoûr qui florissait sur la basse Moulouya aux environ du 10ème siècle. La renommée laissée par Moussa fut telle, que cinq cent ans après sa mort, il se trouve encore cité par Ibn Khaldoun au nombre des illustrations du peuple berbère et présenté par lui « comme un des ornements de sa Nation. » La lutte inégale qu’il soutint contre les lieutenants Tlemcéniens d’Obeid Allah le Fatimide n’est point sans doute étrangère au développement d’un pareil prestige.

C’est au sommet de cette montagne qu’on découvre encore aujourd’hui selon la légende aussi, la vieille bergère pétrifiée au  milieu des  neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. Au plus haut sommet de Bou – Iblâne on trouve également une fiancée pétrifiée par la glace.

Abdelkader Mana

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Nuit solitaire, Mustapha Belkouch