Pour Didouh, l’art islamique est une quête de l’infini :
« Il n’y a pas de limite dans mes tableaux, on peut continuer jusqu’au ciel en dehors du cadre. Car l’art n’a pas de limite. L’art maintenant, c’est la science et nous devons suivre le courant. La clé théorique de mon travail, c’est l’infini. Et j’aime vivre à Essaouira parce que c’est la ville de l’infini. La transe est infinie, le rêve est infini, la mer est infinie. »
De sa période de rêve expressionniste, Didouh nous dit encore :
« Je crois que nous sommes des destructeurs. Nous vivons de fictions en jouant avec nos âmes. Les couleurs attirent l’attention sur la mort. C’est un éclat suivi d’un silence de mort. On trouve ici des graffitis, vestiges des flammes éteintes. C’est le passé angoissant qui revient. L’idée de masque que tout le monde porte. Le regard provocateur de l’individualisme. La foule solitaire et anonyme qui se dirige vers l’infini. »
Diable ! Prélassement au paradis d’ALI MAIMOUN
L’artiste ne vise pas ici à reprendre un seul sens, le « sens unique », il brouille les cartes pour multiplier les sens possibles. L’art est ici proche de ces pratiques mystiques où l’on pensait que la perfection nominale consiste à conjurer les esprits des sphères et des astres. Plus une forme est belle, plus elle a de chance de faire sortir l’artiste de son île où souffle un vent de crabes, pour le livrer à l’univers éblouissant des idées.
Chez Tayeb Saddiki, il existe un point commun entre le théâtre –son domaine de prédilection, où son génie s’impose à l’échelle du monde arabe– et la calligraphie : la mise en scène de la parole. La scénographie. La place de « Jamaâ El fna », lieu privilégié de la culture populaire où Tayeb Saddiki ouvrait symboliquement le prologue de sa pièce sur Sidi Abderahman el-Majdoub, devient dans ce tableau-calligraphie une sorte d’ « épilogue » de l’univers. Une résurrection où les hommes seraient jugés devant Dieu :
« Ce jour-là, la dernière retraite sera auprès de ton Seigneur. On apprendra alors à l’homme, les œuvres qu’il a commises et celles qu’il a omises. L’homme sera un témoins occulaire déposant contre lui-même…N’agite point ta langue en répétant la révélation pour l’achever plutôt…Quand nous te lisons le livre par la bouche de Gabriel, suis la lecture avec nous…Ce jour-là, il y aura des visages qui brilleront d’un vif éclat et qui tourneront leur regard vers leur Seigneur. Quand l’homme comprendra que le moment du départ est venu… on le fera marcher vers ton Seigneur ».
EL ATRACH le surréaliste
Comme par une espèce de magnétisme invisible, les hommes qui « suivent » la parole divine, les signes aimantés par le nom d’Allah, tout se précipite vers ce foyer de lumière. Les hommes et leur mémoire s’engouffrent dans le vide. Un vide qui n’est pas un néant, mais l’énergie d’où est né l’Univers. De la parole divine est né le monde, et après sa disparition, son fana ; restera encore la parole de Dieu. Car elle est supérieure à la parole des hommes. Tout commence et tout finit par Dieu ; voilà le sens profond de cette calligraphie d’une exécution magistrale où Tayeb Saddiki s’affirme, encore une fois, comme un pionnier au Maroc, de la réhabilitation du patrimoine ancien sous une forme nouvelle : une alphabet arabe qui danse sur une mélodie japonaise.
L’artiste musulman n’emprunte des modèles à la nature que pour en faire des motifs purement ornementaux et géométriques. Comme dans une incantation, le même motif est indéfiniment répété dans un ordre symbolique qui est sensé reproduire l’ordre cosmique. En arabe le mot khat, désigne à la fois le trait, le tracé géométrique, et l’écriture. Cette écriture géométrique était d’abord un tracé du vent sur le sable. C’est cette idée que Harabida veut exprimer par son alphabet en mouvement : les mots semblent vaciller, comme sous l’effet d’un souffle ou d’un miroir déformant. Il ne s’agit pas de divulguer un texte « lisible », mais une calligraphie kaléidoscopique qui suggère le soir des images mystérieuses inaperçues le matin.
Pour les femmes peintres d’Essaouira, les couleurs sont un jeu au même titre que le tissage, la broderie ou le tatouage. Elles aiment les couleurs gaies qui apaisent : le mauve d’amour, le bleu de la mer, le vert du printemps et de la forêt si proche, qui est un poumon pour la ville au même titre que l’océan, le jaune solaire, le rose nuptial. Par contre, mis à part les Gnaoua, on utilise rarement le noir. Le noir, c’est l’ombre, et l’ombre, c’est l’âme même projetée en dehors du corps. C’est la puissance ténébreuse des choses.
La mémoire tatouée de FATMA ETALBI
« J’utilise toutes les couleurs de la nature sauf le noir », nous dit Fatima Ettalbi qui fut initiée à tout un ensemble de techniques du corps qui l’ont prédisposée à la peinture : à la fois nakkacha, enluminant de henné les mains et les pieds, « tatoueuse », maquillant les visages, et enfin neggafa, parant les mariées de leurs plus beaux atours, pour la cérémonie nuptiale de loghrama où elles sont couvertes de cadeaux de noce par les invités.
La maîtrise de la teinture au henné, des formes symboliques du tatouage et l’art de parure des neggafa, ont inspiré ses premières peintures, en particulier le goût des couleurs éclatantes des jours de fête. Toute sa démarche artistique est une transposition de ces techniques séculaires du corps, dans le domaine de la peinture. L’été, elle travaille pour les mariages, l’hiver pour la galerie. En troquant la seringue pour le pinceau, elle passe du tatouage des corps à celui des paysages, d’une technique du corps à une fête des couleurs. La surface de la toile lui impose une autre démarche. Au lieu d’embellir le vivant, elle réanime l’inerte :
« Je commence par le milieu en posant d’abord le tatouage, puis je m’amuse avec les choses de l’imagination. Je peins tout ce qui me passe par la tête. Au début, je dessine une chose, mais j’aboutis à une autre. Par exemple, je peins un chameau déformé, mais il en sort des fleurs, des oiseaux, des rivières, l’œil qui est le sens le plus important de l’homme, la main qui protège du mauvais œil ».
Une profusion de couleurs et de formes se générant les unes les autres, comme dans un jeu d’enfants sans perspective, mais avec beaucoup d’harmonie dans l’ensemble et une grande vitalité poétique intérieure.
Les fiancées de l’eau de FATIMA ETALBI
26 mai 2012 at 13:59
You can certainly see your expertise within the work you write. The world hopes for even more passionate writers like you who aren’t afraid to say how they believe. All the time go after your heart.